G. Gonin: Redécouvrir la porcelaine de Nyon (1781-1813)

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Titel
Redécouvrir la porcelaine de Nyon (1781-1813). Diffusion et réception d’un artisanat de luxe en Suisse et en Europe du XVIIIe siècle à nos jours


Autor(en)
Gonin, Grégoire
Erschienen
Neuchâtel 2017: Éditions Alphil
Anzahl Seiten
126 S.
von
François Jequier

Le prologue de cette recherche originale s’apparente à l’ego-histoire par son côté intimiste, qui révèle le déclic, d’abord, et la passion, ensuite, de Grégoire Gonin pour la porcelaine de Nyon qu’il explique par son rapport à l’esthétique qui «structure de longue date mon rapport au monde». Avec finesse et pudeur, il cherche les raisons profondes de cet engouement allant jusqu’à poser une question dérangeante: «dans quelle mesure l’investis sement pour les choses supplée-t-il l’absence des êtres au point de suggérer le caractère relatif et la vanitas d’une passion?» La complexité des relations entre l’être humain et les objets dont il s’entoure, sujette aux modes et autres représentations, s’impose comme la trame de cette recherche truffée de questions et d’interprétations parfois osées. Ses réflexions sur les différences d’approches des disciplines convoquées autour de son thème, soit l’histoire de l’art, l’histoire, l’économie, la sociologie, la psychologie du goût, etc. ouvrent de belles perspectives dans son choix délibéré et assumé de tenter un éclairage pluridisciplinaire. Sa démarche, dépassant le monde rassurant des descriptions, propose de nouveaux questionnements en cherchant, dans les limites de ses sources, à inscrire du sens dans la trame des événements de la création d’une manufacture de porcelaine durant une période aussi troublée que les années 1781 à 1813.

L’introduction intitulée «La porcelaine de Nyon revisitée» donne de manière claire la structure du livre en privilégiant les perspectives économique, sociale et culturelle. Une série de questions articulée chronologiquement retient la curiosité du lecteur qui découvre que chaque siècle a sa problématique propre. Le premier chapitre dresse un bilan historiographique impressionnant de la porcelaine de Nyon sans omettre de préciser l’absence de sources de première main en soulignant les «focales divergentes» entre l’approche historique soucieuse des aspects économiques, sociaux et entrepreneuriaux et l’histoire de l’art préoccupée d’esthétique et de stylistique trop souvent détachée de toute contingence matérielle.

Le deuxième chapitre brosse en quelques pages relevantes le panorama de l’économie régionale de l’arc lémanique en l’insérant dans ses interactions avec l’espace européen de manière à inscrire l’histoire de la manufacture de porcelaine dans un cadre géographique élargi. Le contexte établi, Grégoire Gonin aborde le chapitre central consacré à l’histoire de la manufacture, créée en 1781, et dont le destin va être marqué par une succession d’années de plus en plus troublées – de la fin de l’Ancien Régime aux premiers craquements de la chute de l’Empire napoléonien. Face à une telle conjoncture, la survie tenait de l’exploit ! Utilisant les données collectées par Laurent Droz dans son mémoire de licence en histoire soutenu en 1997, mais resté inédit, Grégoire Gonin lui rend hommage avant de brosser un tableau suggestif des circonstances de la création de l’entreprise et de son développement chaotique marqué par trois décennies de pertes financières. Son analyse des réseaux de diffusion et ses remarques sur les probables recoupements des réseaux de distribution de l’artisanat local (horlogerie, orfèvrerie, indiennes, et céramique) confirment les travaux d’Anne Radeff et de Béatrice Veyrassat. En partant d’une esquisse d’une sociologie du luxe sous l’Ancien Régime, il met en évidence une «révolution des objets», laquelle se calque sur les différenciations sociales et il va jusqu’à soulever la délicate question de l’usage de ces services que l’on ne sortait que lors de grandes réceptions.

Les pages retraçant les médiations sociales de la redécouverte du «vieux Nyon» abordent le regain d’inté rêt pour le passé à l’aube de la seconde industrialisation, l’influence des sociétés savantes, le déve loppement des musées et le rôle des antiquaires dans ce renouvellement du public aisé pour la porcelaine de Nyon. La collection devient l’un des attributs du bourgeois avec l’apparition de la vitrine que l’hôte commente devant ses invités. Son dernier chapitre au titre confus recèle quelques perles.

Son analyse des changements de clientèle, «Du patricien-propriétaire au bourgeois ollectionneur» le conduit à des digressions pertinentes sur la mode, le luxe, les motivations des collectionneurs, le monde des ventes aux enchères, la diminution drastique des antiquaires, la sociologie des acheteurs et l’évolution du goût au fil des générations.

Ses études de cas de deux grandes collections privées et la mise en perspective d’importantes transactions, ses remarques pertinentes sur des sources rares comme les commentaires et les prix relevés lors de ventes importantes et son analyse fouillée de l’effondrement des prix des porcelaines de Nyon ces dix dernières années qu’il compare avec l’argenterie lausannoise du XVIIIe siècle, s’imposent par leur pertinence et leur originalité. Ces pages montrent aussi que le marché de l’art reste d’une grande opacité depuis des lustres et que les plus belles collections constituées à prix d’or peuvent perdre de leur valeur au gré des modes.

Ce livre s’inscrit dans le renouveau de l’histoire locale et régionale, enrichie par des approches, qui dépassent la description et l’anecdote pour tenter de faire revivre des pans entiers du passé en remettant les objets dans leur contexte d’apparition et surtout dans leurs usages.

Le choix et la qualité de l’iconographie enrichissent la lecture en particulier la précision des légendes qui fournissent d’intéressants compléments d’information pour les profanes.

Grégoire Gonin cherche à nous faire partager sa passion pour la porcelaine de Nyon en éveillant notre curiosité pour un page d’histoire vaudoise qu’il récrit avec talent.

Zitierweise:
François Jequier: Grégoire GONIN: Redécouvrir la porcelaine de Nyon (1781-1813). Diffusion et réception d’un artisanat de luxe en Suisse et en Europe du XVIIIe siècle à nos jours, Neuchâtel : Alphil, 2017. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 254-255.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 125, 2017, p. 254-255.

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